Exemple 6 Blues en Bb (Si bémol)
Si
le blues et la forme "song" alimentent le plus le répertoire du Jazz,
ceci n'écarte évidemment pas la possibilité d'envisager des formes plus
complexes. Mais, comparativement à ce qui est envisageable dans la Musique
Occidentale de Tradition Écrite (la musique "classique"), dans le
Jazz de stricte obédience, la présence non essentielle de l'"écriture"
n'autorise pas facilement à concevoir des formes complexes.
En
effet, l'oeuvre de Jazz résulte d'une composition collective à partir d'éléments
musicaux suffisamment simples pour être facilement manipulables, en temps réel,
par les musiciens. Aussi, lorsque l'on parle de "forme song" ou de
"forme blues", pour un morceau de Jazz, il ne s'agit-là que de la
forme, très simple, revêtue par les éléments musicaux principaux dont les
musiciens de Jazz vont se servir (une chanson, un enchaînement d'accords de
blues sur 12 mesures, par exemple)
C'est
pourquoi il convient de distinguer encore plus en Jazz que dans les autres
genres musicaux, les deux aspects complémentaires de la notion de forme. En
effet, dans quasiment tous les styles de Jazz (à l'exception de certaines
tendances rapportables au Free Jazz), l'agencement interne des parties répond
à deux principes fondamentaux:
-
Le premier concerne les matrices harmoniques sur lesquelles l'arrangement de
Jazz s'appuie.
-
Le second concerne la façon dont l'arrangement organise l'utilisation d'une ou,
parfois, de plusieurs matrices harmonique dans le déroulement d'un morceau.
Dans le cas de Body and Soul, la matrice harmonique en question,
c'est l'agencement en 4 parties distinctes de 2 phrases de 8 mesures chacune
(que l'on peut nommer phrase A et phrase B) pour produire un schéma de type
AABA.
Le
schéma AABA est une forme en ce sens qu'il est identifiable comme une
construction-type que l'on peut reconnaître dans un grand nombre de refrains de
chansons, ces chansons dont le Jazz se sert souvent en tant que pré-texte à l'élaboration
d'un morceau. Par-delà le schéma AABA, ce qui assure l'identité
personnelle de chaque chanson répondant à ce schéma, c'est bien-sûr en
premier lieu la mélodie. Mais, comme celle-ci est souvent remplacée par
d'autres mélodies improvisées par les jazzmen, ce sont en définitive les
enchaînements harmoniques élaborés à partir de la forme générique
(c'est à dire ici 32 mesures AABA) qui déterminent l'identité personnelle de
la chanson en question.
On
parlera dans ce cas non plus seulement de forme, mais bien précisément de
matrice harmonique. Ainsi, bien que l'une et l'autre s'appuient sur la forme
AABA, il y a la matrice harmonique de Body and Soul comme il y a la matrice
harmonique de I Got Rythm. Elles ne se ressemblent en rien si ce n'est au
niveau du découpage de leurs 32 mesures en 4 phrases de 8 selon la forme AABA.
Les
différentes versions de l'une
et de l'autre proposent une forme globale, qui relève davantage, comme toujours
dans le Jazz, de la technique de l'arrangement, que de celle de la
composition au sens usuel du terme. L'arrangement consiste en l'agencement d'un
nombre défini de variations successives sur une même matrice harmonique
originelle répétée (éventuellement précédées d'une introduction,
entrecoupées d'interludes et ponctuées d'une coda, ce qui apparente alors
davantage le travail à celui de la composition).
La
chanson Body and Soul a donné
lieu à une multitude d'arrangements fondés sur ce principe.
Remarque:
A l'inverse des oeuvres fondées sur la matrice harmonique de Body and Soul,
celles utilisant la matrice harmonique de I Got Rythm de GERSHWIN,
font entendre plus rarement la mélodie principale originelle durant la phase d'exposition,
lui substituant volontiers une nouvelle mélodie. Ceci autorise, selon le droit
de l'édition, l'emploi d'un nouveau titre, qui rend plus difficile
l'identification de la chanson ayant servi de base à la
composition/arrangement.